Le résultat des élections générales de 2024 en Inde

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Nous publions la traduction d’un article de Revolutionary Democracy, l’organisation membre de la CIPOML.

Le parti Bharatiya Janata (BJP) de Modi, malgré toutes ses manœuvres autour du temple d’Ayodhya ([1]), a été carrément vaincu à Ayodhya même. Il reste le parti le plus important au Parlement, mais il est loin d’avoir la majorité nécessaire pour former un gouvernement. Il lui fallait le soutien de deux alliés régionaux (avec lesquels il avait conclu une alliance électorale juste avant les élections) pour former le gouvernement pour la troisième fois consécutive. Les partis d’opposition, écartés par la presse de connivence, sont revenus avec plus de force. Le culte autour de la personne de Narendra Modi a perdu beaucoup de son éclat. Modi lui-même, dans sa circonscription de Varanasi, n’a pu recueillir que 54% des voix, contre 64% lors des élections précédentes. Dans sa propre circonscription, sa popularité, au lieu de monter en flèche, a considérablement chuté.

Le peuple indien a utilisé judicieusement le peu d’espace dont il disposait dans la « gouvernance démocratique ». En fait, pratiquement tous les acteurs de la politique électorale, aussi bien le parti au pouvoir que les partis d’opposition et le peuple dans son ensemble, pourraient se targuer d’avoir remporté l’élection. Le BJP de Modi pourra former le gouvernement et l’opposition a réussi à diminuer l’image et la présence du BJP au Parlement. Les gens peuvent se réjouir que le char lancé par Modi ait perdu quelques-unes de ses nombreuses roues et qu’il ne puisse plus rouler librement, écrasant les gens sous lui.

Plusieurs facteurs ont contribué à ce qui est effectivement considéré comme une défaite de la politique de haine et de polarisation religieuse de Narendra Modi. Nous pouvons identifier les quatre facteurs les plus importants. Premièrement, la colère des agriculteurs (en réalité les paysans moyens et riches, mais aussi les petits paysans) non seulement contre la politique néolibérale de commercialisation des produits agricoles du gouvernement, mais aussi contre la manière dont il cherchait à écraser le mouvement paysan. Cela signifie que les agriculteurs des cinq principaux États de l’Uttar Pradesh, du Bihar, du Pendjab, de l’Haryana et du Rajasthan ont voté contre le BJP. Le deuxième facteur majeur était la conviction largement répandue que si le BJP gagnait avec une majorité écrasante, il démantèlerait les garanties laïques, démocratiques et égalitaires de la Constitution indienne, en particulier la garantie des droits des minorités et la mise en œuvre d’une discrimination positive en faveur des peuples, castes et tribus historiquement opprimés. En substance, on craignait que la domination masculine hindoue des castes supérieures ne soit renforcée constitutionnellement. Cela a retourné les castes opprimées (Dalits) et les communautés minoritaires contre le BJP. Le troisième facteur s’est produit principalement dans les États du sud du Tamil Nadu, du Kerala et du Karnataka, où la posture ouvertement hindoue était considérée comme un retour à la domination des castes brahmaniques, ce que les habitants de ces États avaient combattu avec détermination et succès.

Le quatrième élément renvoie à la perception selon laquelle le BJP dirigé par Modi cherchait à démolir la possibilité d’une dissidence démocratique en décimant l’opposition, en particulier celle enracinée au niveau régional. Les habitants du Bengale et du Maharashtra étaient particulièrement irrités par la manière dont les partis politiques régionaux étaient traités par le gouvernement Modi, qui cherchait à les diviser en achetant les dirigeants faibles et en lançant de fausses accusations contre les autres.

Malgré ces signes qui permettent d’être optimiste quant à la lutte contre la dictature fasciste émergente, il existe plusieurs éléments déconcertants. Ainsi, la victoire éclatante du BJP dans l’Orissa, le Gujarat, le Chhattisgarh, le Madhya Pradesh et sa forte présence continue dans le Nord-Est. Le BJP conserve toujours une large part des voix, environ 37 %, sans aucun changement substantiel par rapport aux élections précédentes. Il est tout à fait clair que ce qui a été gagné n’est qu’un répit face à la croissance incessante des éléments fascistes et il est tout à fait possible que cet acquis puisse être annulé par une gestion adroite. Dans le même temps, nous pouvons espérer que la position hégémonique et l’agressivité contre les minorités que Modi a personnellement promues pendant la campagne électorale puissent s’affaiblir un peu, car elles ne semblent pas avoir porté les fruits escomptés. Étant donné que le BJP n’a plus la force de faire adopter des projets de loi controversés au parlement, l’inquiétude est grande à l’idée qu’il cherche à modifier la constitution pour diluer les dispositions relatives à la laïcité, à la démocratie et à la justice sociale. On peut aussi s’attendre à un petit affaiblissement du culte de la personnalité de Modi, compte tenu du malaise ressenti par la « holding » du BJP, qui incluse le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) ([2]). Il est largement admis que le revers électoral du BJP a été causé par le retrait du RSS du travail électoral actif, mécontent de la fin du dialogue interne et de la montée de Modi-Shah en tant que figure de sauveur semi-divin. Mais peu de changements à long terme sont possibles étant donné la proximité des deux groupes.

Les entreprises indiennes et internationales continuent de soutenir sans réserve le BJP et le considèrent comme le fer de lance de la conquête néolibérale de l’économie indienne, qui permettra en même temps de stimuler le capital mondial en butte à la récession. Dans la formation du cabinet, le BJP conserve les portefeuilles clés et les mêmes ministres sont revenus à la tête des affaires. Son principal allié, le parti Telugu Desam ([3]), est un champion bien connu du néolibéralisme qui a en fait perdu les élections précédentes dans l’Andhra Pradesh à cause de cette foi aveugle. Il est peu probable que la politique de réformes agressives s’arrête.

Face à la déconfiture politique du BJP et au fait que plusieurs États sont apparus comme des refuges contre ce parti, les mouvements sociaux ont l’opportunité de se renforcer et de faire valoir leurs intérêts. La gauche et les forces démocratiques doivent identifier les problèmes spécifiques auxquels sont confrontées les différentes couches de la population et construire des mouvements actifs autour d’eux.


[1] Modi a voulu assumer le rôle de prêtre en chef du temple de Ram nouvellement construit à Ayodhya pour unifier une communauté majoritaire hindoue et la mettre ay service de sa politique néolibérale.

[2] « Organisation patriotique nationale », est un groupe nationaliste hindou d’extrême droite et paramilitaire et violemment anti-musulman.

[3] Parti régionaliste, présent dans l’Etat de l’Andhra Pradesh et au Telangana.