Le collectif Réfugiés du Vaucluse nous a fait parvenir le témoignage d’une travailleuse sociale, Ibtissam Bouchaara, éducatrice à la Sauvegarde, association qui gère entre autres le Foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne. C’est là que le jeune Denko Sissoko a trouvé la mort le 6 janvier 2017. Confrontée quotidiennement au désengagement de l’Etat vis à vis de ceux que le système capitaliste abandonne au bord de la route et qu’il rejette, en particulier les mineurs étrangers isolés, elle lance un cri de révolte et un appel à la résistance qui trouve aujourd’hui de nombreux échos un peu partout en France.
Dans notre département, de nombreux travailleurs de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont révoltés par l’attitude de leur direction qui, au cours d’une conférence de presse organisée avec les autorités préfectorales a prétendu que ses services sont « saturés » par une déferlants de jeunes mineurs étrangers ! En réalité ils sont une centaine sur 2500 mineurs soit 2,5%. Dans un climat de méfiance généralisée, malgré des papiers officiels en règle, des tests osseux sont systématiquement demandés alors que la communauté médicale conteste leur fiabilité. Dès le verdict des tests connus, si le jeune est déclaré majeur, l’ASE le met dehors sans ressources, sans adresses, sans aucun suivi. On pourrait multiplier les exemples de brimades, comme à Lyon où un mineur déclaré majeur par les tests osseux doit rembourser les frais d’hébergement sous peine de prison ; à Toulouse, alors que l’Etat a obligation de scolariser les mineurs, on a découvert des dizaines de mineurs livrés à eux-mêmes dans un hôtel de marchands de sommeil. Non seulement les pouvoirs publics les abandonnent, mais il menace tous ceux qui leur viennent en aide. L’auteure de ce témoignage est convoquée pour licenciement ; des habitants de la vallée de la Roya, à la frontière franco-italienne sont poursuivis pour délit de solidarité…
Ces entrées en résistances sont significatives d’une prise de conscience de la nécessité de rompre avec un système pourrissant. La somme de toutes ces révoltes permettra seule de trouver une issue victorieuse à travers son expression collective et sa manifestation organisée.
Correspondance Avignon
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« Résister pour les mineurs isolés » par Ibtissam Bouchaara.
Ibtissam Bouchaara est éducatrice à la Sauvegarde, association qui gère entre autres le Foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne, où le jeune Denko Sissoko a trouvé la mort le 6 janvier 2017. Pour avoir apporté son témoignage sur la Radio primitive peu après cette tragédie, elle a été convoquée pour sanction disciplinaire, puis pour licenciement. Elle devra se présenter à sa direction le 30 janvier à 10 heures. Dans l’attente, elle définit sa position.
J’avais à peine dix-sept ans sur les bancs de l’IRTS (Institut régional du travail social).
J’en ai trente-sept aujourd’hui et des kilomètres de vie se sont écoulés.
Mon parcours professionnel s’est fait au rythme de ces écorchés vifs, des adolescents en mal de parents, souvent rejetés, mal aimés ou dénigrés. Il a fallu que j’apprenne ce métier de tisserand du lien social entre ces adolescents et l’autre : le professeur, ses pairs, ses parents, soi-même et celui qu’on veut être. J’ai sûrement commis des erreurs, parfois perdu patience mais ce métier me prend au corps. Il m’a apporté des qualités humaines inestimables.
J’ai débuté ma carrière dans un foyer départemental et quelques semaines après mon arrivée, nous avons accueilli un mineur isolé. C’était un cas rare à l’époque. Il était malade et sous dialyse. Il était originaire du Cameroun. On ne lui a pas laissé de répit pour autant. Un billet d’avion sans retour avait été pris et il avait été décidé qu’il retournerait au pays au mépris des lois françaises, des conventions internationales.
Je suis sortie de mon devoir de réserve que l’on doit, même en tant que contractuelle. Discrètement, contre l’ordre qui m’avait été donné, je l’ai mis en lien avec le milieu associatif. Le département a été prié de respecter ses droits et il a continué sa vie paisible en France.
J’ai quitté le département, le devoir de réserve d’un fonctionnaire n’était pas compatible avec ma personnalité.
Quelques années plus tard, je l’ai croisé heureux et un peu plus adulte.
J’ai pris toute la mesure de la place des travailleurs sociaux auprès des personnes démunies.
Selon nos choix, notre degré de conscience et notre éthique, la vie des autres peut prendre un tout autre virage.
Alors oui, un soir du 23 décembre quand je mets les pieds dans un service de SAMIE (Service d’accompagnemencueil des mineurs isolés de ce service n’a pas été assez pensé en amont en termes de moyens.
À l’heure où il faut marcher au pas et faire du bénéfice, je décide de résister. Résister à ce social qui se veut gestionnaire. Résister afin que le social reste imperméable aux dérives politiques. Résister aux atteintes des droits fondamentaux.
En somme, que l’accueil des mineurs isolés, ici ou ailleurs, se fasse avec bienveillance et dans toute sa pluralité.
Ibtissam, élue, éducatrice, citoyenne.